mercredi, janvier 22, 2025
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Oligui Nguema et les Bongo : un an après, les derniers secrets du coup d’État

 

Un an après la présidentielle au Gabon et le putsch qui a renversé Ali Bongo Ondimba, aucun procès n’a encore lieu pour éclaircir les événements qui auraient poussé Brice Clotaire Oligui Nguema au coup d’État. Quel rôle a-t-il réellement joué ? Comment Noureddin Bongo Valentin avait-il verrouillé l’élection ? Et pourquoi ses plans ont-ils échoué ? Révélations.

 

Au centre de vote Martine-Oulabou – du nom d’une ancienne syndicaliste tuée par la police en 1992 –, les électeurs se sont rassemblés tôt dans la matinée ce 26 août 2023. Répartis en plusieurs files, ils attendent pour déposer leur bulletin dans l’urne installée dans cette école primaire du 2e arrondissement de Libreville, réaménagée à l’occasion des élections générales du Gabon. Seulement, le bureau n’est pas prêt. Il faut attendre 10 heures passées pour qu’à bord d’un camion une poignée de militaires et du personnel du Centre gabonais des élections (CGE, la commission électorale) viennent déposer les cartons contenant les bulletins de vote.

 

Dans ce centre comme dans beaucoup d’autres, les opérations n’ont pas débuté à l’heure. « La pagaille a déjà commencé… », commente François Ondo Odou, ancien compagnon de l’ex-ministre André Mba Obame et militant de l’Union nationale – un des partis d’opposition à Ali Bongo Ondimba, le président sortant. Opposition qui, rassemblée derrière Albert Ondo Ossa sous la bannière Alternance 2023, dénonce rapidement des dysfonctionnements et des retards importants, pointant du doigt le manque d’observateurs du scrutin.

 

Des bulletins au nom d’Albert Ondo Ossa sont absents des bureaux de vote, quand certains, ceux de candidats de l’opposition s’étant désistés en sa faveur, sont bien présents et perturbent les électeurs. « Ce qui était censé être une élection dans la transparence et la paix se retrouve être une tentative de fraude massive où même les moyens de communiquer nous sont coupés”, accuse l’opposant et professeur d’économie, le 27 août, alors que l’exécutif a instauré un couvre-feu et suspendu l’accès à Internet la veille. Trois jours plus tard, le CGE donne Ali Bongo Ondimba vainqueur avec 64,27 % des suffrages, contre 30,77 % pour Ondo Ossa.

 

La suite est connue. Dans la foulée, les militaires du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) annoncent à la télévision nationale la destitution du président. « [Nous] avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place. […] Les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés », déclare Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, leur porte-parole. Dans une interview à Jeune Afrique, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, nouveau chef de l’État gabonais, dénonce « l’organisation chaotique des élections générales ». Et emploie la même expression : « résultats tronqués ».

 

Quelques jours plus tard, auprès de ses hommes de la Garde républicaine, à Lambaréné (Moyen-Ogooué), il tient un discours similaire, affirmant avoir pris le pouvoir pour empêcher une fraude électorale « aux yeux de tous ». « Le tricheur, quand il est habitué à tricher, triche jusqu’au bout », conclut-il le 18 septembre, accusant l’ex-première dame, Sylvia Bongo Ondimba, son fils, Noureddin Bongo Valentin, et les proches de ce dernier d’avoir organisé la fraude. Tous sont, depuis, derrière les barreaux, notamment accusés de « haute trahison contre les institutions de l’État ». Aucune date de procès n’a cependant été avancée, et la présidence gabonaise affirme à Jeune Afrique que l’enquête suit son cours, les prévenus étant régulièrement interrogés.

 

Tout juste un an après le coup d’État, la lumière n’a été faite ni sur la fraude évoquée, ni sur l’origine de ces fameux « résultats tronqués ». Comment s’est déroulée cette tricherie ? Qui en était responsable ? A-t-elle bénéficié de la complicité passive – ou active – de certains des acteurs principaux du putsch censés y avoir mis un terme ? Tout indique en tout cas que les élections générales du 26 août avaient été verrouillées bien en amont du jour J afin d’éviter une déconvenue au président sortant ou une réplique de la présidentielle de 2016, au cours de laquelle Ali Bongo Ondimba n’avait pu écarter que de justesse – et avec la force – les prétentions de Jean Ping.

 

Passage du scrutin présidentiel de deux tours à un seul, adoption du controversé bulletin unique, réformes du code électoral votées sans opposition par le Parlement… Au fil de l’année 2023, les indices laissent peu de place au doute : l’entourage d’Ali Bongo Ondimba a bien l’intention de sécuriser son maintien au pouvoir. Les piliers du palais du Bord de mer se sont assurés la mainmise sur la plupart des institutions, et rien ne semble pouvoir leur échapper. La Cour constitutionnelle, dirigée d’une main de fer par Marie-Madeleine Mborantsuo, ancienne compagne d’Omar Bongo Ondimba, avalise les réformes.

 

À la tête du CGE a été placé un ancien des services d’écoute de la présidence, Michel Stéphane Bonda. Or, cet ex-ministre issu du Parti démocratique gabonais (PDG, alors au pouvoir) a été incarcéré en 2015 à Libreville, accusé, entre autres, d’avoir violé sa sœur âgée de 13 ans. Il a été libéré, certes, mais discrètement, sans qu’un procès soit organisé et en bénéficiant, selon nos informations, de l’intervention de l’entourage d’Ali Bongo Ondimba. L’un des ses membres décrit l’homme comme quelqu’un ayant « une dette » envers ses sauveurs. Ce que semble confirmer la vice-présidente du CGE, Christelle Koye.

 

 

Représentante de l’opposition, celle-ci se souvient de « rapports tendus » avec Michel Stéphane Bonda. « Il a tenté de s’immiscer dans la désignation des commissaires », explique-t-elle, ajoutant que la fraude s’est surtout organisée au niveau local. « Lorsque les personnes désignées pour diriger les bureaux de vote sont introduites par le pouvoir, la fraude est facile. » Christelle Koye affirme avoir vu, dès le 26 août, des incohérences entre les résultats constatés dans certains bureaux et ceux communiqués par les commissions locales de Mouila, de Moanda ou de Libreville.

 

Elle dit avoir demandé à certains commissaires de ne pas signer les procès-verbaux visiblement falsifiés. Ils ont refusé. « L’élection s’est faite sous pression. Le principal problème, qui a favorisé la fraude, était l’amateurisme du président du CGE », confie une source au sein de l’instance. « On ne peut pas réellement parler de fraude, plutôt de désorganisation, affirme un ex-membre de l’exécutif ayant joué un rôle important dans la campagne. La Garde républicaine, chargée de la livraison du matériel, a eu énormément de soucis logistiques qui ont eu pour conséquence les retards d’ouverture. C’est la raison pour laquelle certains Gabonais n’ont jamais pu voter. »

 

Autre verrouillage en amont des scrutins, du côté des médias cette fois, secteur pour lequel Jessye Ella Ekogha, porte-parole de la présidence et proche de Noureddin Bongo Valentin, a une stratégie en main. Plusieurs journaux, réputés proches du Bord de mer, défendent assidûment la candidature d’Ali Bongo Ondimba, comme le site La Libreville, sans doute le plus emblématique d’entre eux et qui a cessé de publier le 29 août, à la veille du coup d’État. Très lu alors au Gabon, il qualifie le président-candidat de « grand favori », tandis qu’Albert Ondo Ossa est décrit comme un opposant « radical ».

 

La Libreville et d’autres médias ont été créés avant la présidentielle de 2016, alors qu’Ali Bongo Ondima jouait sa réélection face à Jean Ping. Leurs destins avaient alors été confiés à deux piliers du Bord de mer. « Maixent Accrombessi et Liban Soleman orchestraient ces journaux, destinés à contrer l’arrivée d’activistes de l’opposition sur le Web », détaille le patron d’un média en ligne. En 2023, Accrombessi et Soleman ont été écartés, mais le système reprend du service. À sa tête, comme l’explique nos interlocuteurs journalistes et patrons de presse : le fils du président, Noureddin Bongo Valentin, et Jessye Ella Ekogha.

 

 

« Les élections étaient verrouillées depuis longtemps, affirme une source proche de l’ancienne famille au pouvoir. Noureddin et Sylvia y avaient veillé. » D’autant que le Palais croit s’être assuré du soutien de l’armée. Pour sécuriser la réélection d’Ali Bongo Ondimba, l’appui de la Garde républicaine, le corps militaire le plus puissant du pays, est en effet indispensable. En 2019, Sylvia Bongo Ondimba et son fils s’organisent pour écarter l’un des hommes dont ils se méfient le plus, Frédéric Bongo Ondimba – demi-frère d’Ali –, et font revenir Brice Clotaire Oligui Nguema de l’étranger pour le remplacer à la Direction générale des services spéciaux (DGSS).

 

Le général, ancien exilé écarté par Ali Bongo Ondimba, devenu allié de circonstance du duo formé par le fils et l’épouse du président, doit verrouiller le milieu militaire. Ce qu’il fait, au profit du chef de l’État. Et de lui-même. « Depuis 2022 au moins, Oligui Nguema s’est positionné comme le véritable chef d’état-major des armées, et comme le vrai ministre de la Défense du Gabon, analyse une source haut placée au sein de l’armée gabonaise. Noureddin et Sylvia ont commis l’erreur de s’appuyer sur lui jusqu’au bout. Ou plutôt, Oligui Nguema a réussi à faire illusion jusqu’au bout. Mais qui sait depuis quand le général jouait-il double-jeu ?”

 

Les semaines précédant l’élection du 26 août, les réunions en petit comité et à huis clos se succèdent pour mener la campagne d’Ali Bongo Ondimba, président affaibli par un accident vasculaire cérébral survenu fin 2018, en Arabie saoudite. Noureddin Bongo Valentin, qui n’a certes plus de poste officiel au sein de l’exécutif depuis septembre 2021, pilote avec sa young team la tournée électorale de son père et l’organisation du scrutin. Une petite dizaine de personnes font partie de ces entrevues, qui se déroulent dans des villas louées spécifiquement pour la campagne, dans les quartiers de La Sablière ou de Batterie IV.

 

Outre Noureddin Bongo Valentin sont conviés le directeur de cabinet de la Présidence, Ian Ghislain Ngoulou, le secrétaire général au ministère de la Communication et demi-frère du président, Alex Bernard Bongo, le directeur de cabinet du chef de l’État au PDG, Cyriaque Mvourandjiami, et son adjoint, Mohamed Ali Saliou. Le frère de ce dernier, Abdoul Oceni Ossa, partenaire en affaires de Noureddin Bongo Valentin sans occuper de poste politique, en est également, tout comme le directeur général du Trésor, Franck Yann Koubdje, et le secrétaire général du parti au pouvoir, Steeve Nzegho Dieko.

 

Essentiel au bon déroulé matériel de l’élection en tant que chef de la Garde républicaine, il est aussi celui qui devra assurer le calme à Libreville en cas de violences après l’annonce des résultats, comme en 2016. Autour de la table, personne ne doute de la loyauté de l’ancien aide de camp d’Omar Bongo Ondimba. Le groupe n’affiche pas de grandes inquiétudes, mais la tension monte néanmoins alors que les leaders de l’opposition se sont réunis, contre toute attente, au sein d’Alternance 2023 et mis d’accord sur la candidature de consensus d’Albert Ondo Ossa.

 

La coalition, décidée à faire chuter Ali Bongo Ondimba, active ses réseaux et tente d’obtenir soutien et financement de la part des pouvoirs en place dans les pays voisins, réguliers pourvoyeurs de fonds électoraux dans les deux camps : Thérence Gnembou Moutsona pour la Guinée équatoriale et Alexandre Barro-Chambrier pour la République du Congo. Alternance 2023 élabore également une stratégie anti-fraude, avec les services d’une agence de communication et de stratégie européenne, pour effectuer son propre décompte des voix en parallèle de celui du CGE, dont elle doute.

 

La pression monte au sein de l’exécutif. Alors que l’élection approche, décision est prise d’interdire l’accès au territoire à la presse étrangère. Le 21 août, un enregistrement audio est envoyé à plusieurs médias, dont Jeune Afrique, issu d’une conversation entre Alexandre Barro-Chambrier et Albert Ondo Ossa. Son contenu, qui dévoile une discussion entre les deux hommes ayant fait alliance pour la présidentielle, est de nature, selon les stratèges de l’entourage d’Ali Bongo Ondimba, à déstabiliser la fragile union de l’opposition. Une fuite est orchestrée, notamment par Jessye Ella Ekogha.

 

Enregistré à l’insu des opposants par un journaliste travaillant pour l’Agence France-Presse (AFP), le fichier audio d’origine était tombé entre les mains de hauts cadres de l’État sans que l’AFP soit au courant. Ceux-ci l’avaient alors envoyé, en utilisant le paravent de Gabon 24, télévision publique gabonaise dont les locaux sont situés à la présidence, à une start-up française de communication de crise, qui les avait redirigés vers une autre entreprise, Whispeak, chargée d’analyser et de rendre intelligible le contenu. « C’est ensuite au client de décider quoi divulguer et de caviarder certains éléments ou non », se défend Jean-François Kleinfinger, son PDG.

 

Une enquête est opportunément ouverte par le parquet de Libreville, le 22 août. Le procureur laisse entendre qu’il s’agit de « propos particulièrement graves qui laissent présager une atteinte à la sûreté de l’État ». Une façon de museler, préventivement, l’opposition ? C’est un échec. Après le 26 août, et sans attendre les résultats, Albert Ondo Ossa se déclare vainqueur face à Ali Bongo Ondimba. La présidence annonce la mise en place d’un couvre-feu et la coupure d’Internet pour une durée indéterminée, une mesure qui fait échouer le plan d’Alternance 2023 de recomptage des voix.

 

Pendant quelques jours, Noureddin Bongo Valentin et ses proches ne restent pas inactifs. En secret, ils tentent ainsi de négocier avec l’opposition pour éviter une crise post-électorale similaire à 2016. Pour les tenants du pouvoir, il faut à tout prix éviter de voir un nouvel opposant se déclarer « président élu », à l’instar de Jean Ping sept ans plus tôt, et ne pas reconnaître la réélection d’Ali Bongo Ondimba. Le fils du chef de l’État et sa young team, qui ne doutent à aucun moment des soutiens des instances électorales et de l’armée, se remettent donc au travail et tentent de convaincre Ondo Ossa de faire machine arrière.

 

Une première rencontre a lieu aux alentours du 28 août entre Ian Ghislain Ngoulou et Albert Ondo Ossa, à Libreville, chez un parent de ce dernier qui joue les intermédiaires. Une importante somme d’argent est proposée au candidat. En échange, celui-ci doit accepter de lire publiquement un discours déjà rédigé et reconnaissant la victoire d’Ali Bongo Ondimba. Un temps de réflexion lui est accordé, et une deuxième rencontre est programmée, qui n’aura jamais lieu. De source proche de la famille Bongo Ondimba, la somme proposée aurait dû être issue des mallettes de billets finalement retrouvées chez Ian Ghislain Ngoulou et d’autres membres de la young team au lendemain du putsch. « L’argent avait été stocké pour parer toute contestation de l’opposition », assure cette source.

 

Toutefois, Brice Clotaire Oligui Nguema, qui a pourtant été au coeur du dispositif censé sécuriser la réélection d’Ali Bongo Ondimba, a peu à peu décidé de passer à l’acte, reléguant au second plan la position de l’opposition. Le scrutin approchant, celui qui fait figure de véritable chef d’état-major et de ministre de la Défense a discrètement consulté une dizaine de ses proches, camarades d’armes et de promotion, évoquant une nécessaire prise de pouvoir. Au sein de cette colonne vertébrale du futur Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), il mène la danse, en tant que général du seul corps d’armée capable de prendre le pouvoir.

 

« L’armée n’a pas fait un coup d’État, c’est Brice Clotaire Oligui Nguema qui l’a fait », résume un ancien membre de l’exécutif. Le 29 août, en fin d’après-midi, les membres du CGE sont convoqués pour une réunion plénière au siège de l’instance, autour duquel un dispositif militaire est mis en place, avec chars et soldats de la Garde républicaine. Tandis que Michel Stéphane Bonda tarde à arriver, tous les participants ont interdiction de quitter le bureau. Les hommes de Noureddin Bongo Valentin ne voient cependant toujours pas le coup de force venir et travaillent toujours à valider la réélection d’Ali Bongo Ondimba.

 

Dans la soirée, Jessye Ella Ekogha s’invite ainsi au CGE pour s’assurer de l’annonce des résultats et de la victoire du président sortant. Certains commissaires sont scandalisés, estimant que c’est aux dirigeants de la télévision nationale, et non au porte-parole de la présidence, de s’occuper de ce point. Vers 23 h 30, sous la pression, le CGE finit par enregistrer l’annonce vidéo. Mais lorsque le tournage est achevé, un peu plus d’une heure plus tard, les militaires ont investi le siège de l’instance. « Ils nous ont demandé de nous plaquer au sol et nous avons été conduits à la Direction générale des renseignements pour y être interrogés sur notre rôle, les sommes perçues et nos indemnités », raconte l’un des membres du CGE.

Ils ne seront gardés que quelques jours en détention. Le CTRI, lui, applique son plan : présenter le coup d’État comme une réponse à la fraude. Avec l’assentiment de Brice Clotaire Oligui Nguema, la vidéo tournée par la CGE est donc diffusée aux alentours de 3 h 30 du matin, le 30 août. Elle donne Ali Bongo Ondimba vainqueur avec 64% des suffrages. Immédiatement après, les militaires diffusent leur propre annonce, celle du coup d’État et de la dissolution des institutions. Le général Oligui Nguema, celui sur qui la famille Bongo comptait pour assurer le maintien au pouvoir de son champion, fait désormais cavalier seul. Un an plus tard, il poursuit son chemin.

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